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Adama Fomba : « L’enseignement n’est pas un prêt-à-porter »

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Le monde célèbre, ce lundi 5 octobre 2020, la Journée mondiale des enseignants. Une occasion de s’arrêter pour non seulement analyser les forces et les faiblesses de l’éducation, mais aussi et surtout, de montrer le rôle crucial que jouent les enseignants au jour le jour pour le développement des États. Bien vrai que la cérémonie de célébration de cette Journée a été reportée au Mali au mois de décembre, nous avons rencontré le porte-parole des syndicats de l’éducation signataire du 15 octobre 2016, Adama Fomba. Il nous parle de la situation de l’enseignant malien ainsi que de l’école de façon générale, de l’indépendance à nos jours. Il formule plusieurs recommandations pour une école plus performante et apaisée.

Phileingora : quelle analyse faites-vous de la situation de l’enseignant malien, de l’indépendance à nos jours ?

Adama Fomba : l’enseignant malien a beaucoup évolué. Dans les discussions, très souvent, les doyens nous racontent qu’ils faisaient des mois sans avoir leur salaire. Un salaire qui était presque dérisoire. Aujourd’hui, avec les luttes syndicales, les initiatives politiques, nous partons de plus en plus vers un salaire. Toutefois, il y a encore des efforts à fournir pour valoriser ce corps afin que l’enseignant puisse être cet être qui donne de la lumière à la société.

Les informations qui nous parviennent des autres pays montrent que l’enseignant est non seulement le mieux traité, mais aussi le mieux considéré. Mais chez nous au Mali, s’il n’y a pas de lutte syndicale, il n’y a pas d’amélioration de condition de vie et de travail. Nous traversons ces difficultés depuis l’indépendance. 

Pour que l’enseignant soit à la hauteur des attentes, il faut que nous le mettions dans les meilleures conditions. Cet effort doit venir non seulement des syndicats, mais aussi de la société, des parents d’élèves ainsi que des autorités politiques.

Les présidents que nous avons eus successivement de l’indépendance à nos jours n’avaient pas une vision politique réelle sur l’éducation. Malgré les multiples réformes que ces présidents ont eu à faire, l’éducation reste toujours confrontée à des difficultés. Il nous faut alors des hommes politiques qui ont des visions politiques non seulement sur le système éducatif, mais aussi sur le personnel enseignant. 

Mais de plus en plus, des gens mettent le doigt sur le faible niveau des enseignants. Que répondrez-vous de ces accusations ?

Nous devons d’ailleurs saluer les enseignants pour l’effort qu’ils sont en train de fournir tous les jours. À la différence des autres fonctionnaires, l’enseignant est celui qui doit s’améliorer de jour en jour. Parce qu’il est celui qui forme les cadres de demain. Pour ce faire, il lui faut beaucoup de formations. 

Ceux qui n’apprécient pas assez le niveau de l’enseignant ne savent pas le plus souvent dans quelles conditions il travaille. On est au 21e siècle. Si vous partez dans nos établissements scolaires publics, vous découvrirez que rares sont ceux qui ont une bibliothèque bien fournie. Beaucoup d’entre eux n’ont même pas d’électricité à plus forte raison de connexion à haut débit. En plus de cela, avec les réformes, vous trouverez également que les formations continues ne sont pas suivies. Au niveau secondaire aujourd’hui, on est dans un système qu’on appelle Approche par compétences (APC). De l’avènement de ce système à nos jours, rares sont les enseignants qui ont eu une seule formation sur cette méthode. Pourtant, nous exigeons à ce que ces enseignants enseignent en fonction de l’APC. Quel résultat pouvez-vous attendre de cela ? L’enseignement n’est pas comme la mécanique. Ce n’est vraiment pas du prêt-à-porter. C’est une perfection de longue haleine, de tous les jours. Il faut vraiment accompagner le monde enseignant afin que le personnel enseignant ait une condition de vie et de travail améliorée. Nous devons voir ensemble comment les enseignants peuvent être les fonctionnaires les plus performants. 

Le thème retenu cette année à l’occasion de la Journée mondiale des enseignants est : « Enseignants : leaders en temps de crise et façonneurs d’avenir». Depuis 2012, le Mali traverse une crise sécuritaire ; en 2020, la crise sanitaire s’en est ajoutée. Comment les enseignants traversent-ils ces crises ?

Très difficilement. Vous pouvez faire le tour des établissements. Vous constaterez que même les 80 % des établissements, du préscolaire au secondaire, n’ont pas de kits sanitaires. Vous trouverez que dans un établissement de plus de 1000 personnes, il n’y a que deux kits. En plus de cela, de façon cruelle, le gouvernement qui était en place [le gouvernement de Boubou Cissé ndlr] a procédé au gel du salaire des enseignants pendant cette crise sanitaire.

Nous sommes en train de traverser cette crise sanitaire avec toutes les difficultés. C’est Dieu qui est en train de veiller sur nous en matière de prévention contre cette pandémie. Sinon nous sommes exposés à la pandémie. 

Donc le corps enseignant n’a reçu aucun accompagnement des autorités de l’État ?

Aucun. Le constat est là. Aucun accompagnement digne de ce nom n’a été reçu par les enseignants. Les classes intermédiaires ont été fermées pour réduire le nombre, mais le nombre de personnels enseignants n’a pas été réduit. Pourtant l’affluence est là. Les autorités ont juste envoyé quelques masques dans les établissements. Or cela ne suffit pas. 

N’eut été la prudence des enseignants, l’effort individuel du personnel enseignant, la situation allait être pire dans le milieu scolaire. 

Sur le plan sécuritaire, il y a juste quelques jours, dans la région de Mopti, un enseignant a été enlevé jusque dans sa classe. Pour vous dire aussi que sur ce plan, les enseignants souffrent énormément.

Aujourd’hui, quelle amélioration faut-il envisager pour un corps enseignant plus motivé et une école plus apaisée ?

Il faut une anticipation des revendications des syndicats de l’éducation en donnant une meilleure réponse à ces revendications. Toutes les revendications des syndicats visent non seulement l’amélioration des conditions de vie et de travail du personnel enseignant, mais aussi à rendre plus performantes nos écoles. Malheureusement le personnel enseignant n’est pas considéré par les autorités de ce pays. Tous les ministres disent qu’ils sont enseignants et qu’ils ne peuvent pas être contre les enseignants. Mais à la tâche, vous trouverez que c’est eux-mêmes qui ignorent le personnel enseignant. Aujourd’hui, les syndicats doivent-ils faire grève pour que l’État prenne des initiatives pour doter les établissements de matériels didactiques ? En ce 21e siècle, si nos autorités ont une volonté d’aller à une école performante, est-ce que les syndicats doivent leur exiger d’installer des connexions à haut débit dans tous les établissements publics du Mali ? Si nous voulons aller à une école performante, est-ce que les syndicats doivent demander aux autorités de réguler le secteur privé de l’éducation ? À Bamako comme à l’intérieur du pays, combien d’établissements privés répondent aux normes ?

Il nous faut vraiment des autorités, des responsables qui ont le souci de l’avenir de ce pays. Car si les autorités ne pensent pas au pays, elles ne peuvent pas penser à l’éducation. Quoi qu’on dise, l’éducation est l’avenir du pays. Il faut alors un partenariat digne de ce nom entre les syndicats et les autorités. Il ne faudrait pas que ce soit juste un partenariat de nom. S’il y a mouvement de grève, on parle de partenariat, mais s’il n’y a pas de grève, les syndicats ne sont pas considérés dans les prises de décisions et même dans les réformes. Il faut un véritable leadership qui puisse rassembler tous les acteurs autour de l’école. Sans cela, ce serait difficile d’avoir une école apaisée. Car aujourd’hui, l’école est en mode décentralisé. D’une certaine manière, l’école échappe au pouvoir central. Il a laissé l’école aux collectivités. Ce n’est pas une mauvaise initiative en soi, mais il faut que les acteurs comprennent cette logique et s’intéressent à l’école. C’est à ce titre que nous pourrons avoir une école apaisée. 

Il faudrait comprendre que les syndicats ne sont pas les ennemis de l’école. Au contraire, ils travaillent pour une école performante.

L’école malienne n’aurait-elle pas peut-être besoin d’une réflexion profonde sur son système ?

Cela ne suffit pas. En 2008, nous sommes allés à un forum sur l’éducation. C’était l’un des forums les plus réussis non seulement en termes de propositions, de conclusions, mais aussi en termes de recommandations. De 2008 à nos jours, rares sont les conclusions de ce forum qui ont été mises en œuvre. Donc, il ne faudrait pas que nous allions encore à des forums de nom. Il nous faut de véritables volontés politiques vis-à-vis de l’école. 

En termes de propositions, je demande à la population de s’intéresser à l’école. Désormais, elle ne doit plus voter pour des candidats qui n’ont pas une vision claire de l’éducation. Il faut exiger que le président, le Premier ministre, tous les membres de son gouvernement ainsi que tous les responsables y compris les enseignants, envoient leurs enfants dans les établissements publics. Que cela soit une exigence. Vous verrez dans une année ou deux, une solution sera trouvée à la crise scolaire.

Après quelques années perturbées en raison des revendications liées à l’application de l’article 39, à quoi devons-nous nous attendre pour l’année scolaire 2020-2021 ?

Nous espérons fortement une année apaisée. Vous savez, c’est à l’impossible que nous, nous partons en mouvement de grève. Nous ne voulons vraiment pas une école perturbée. Nous n’avons aucune valeur si nous ne sommes pas en classe. Pour l’année scolaire 2020-2021, nous ne pouvons qu’espérer une école apaisée et performante. Pour que cela puisse se faire, nous venons de brosser la voie à suivre.

De passage, nous remercions sincèrement le CNSP qui a pris le problème de l’école malienne à deux mains dès sa prise de pouvoir. Il a résolu la crise que l’école malienne traversait. Au sujet de l’article 39, son application est sur une bonne voie.

Réalisée par Fousseni Togola


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